Merci, Pierre

Je veux ici rendre un hommage à Pierre Morand, décédé à 85 ans au début de l’été.

C’était un homme de confiance, solide et déterminé.
A l’école élémentaire La Jonchère, à Seynod, il a été mon directeur en 1973-74.
Il fut très tolérant avec le jeune que j’étais, pas très stabilisé. Mes réflexions, ma sensibilité politique, il la percevait bien différente de la sienne, mais il m’avait poussé à m’engager syndicalement. Ce fut, dès lors, une belle école de formation et je la lui dois en grande partie.

Il était du côté de la sensibilité communiste du SNI, majoritaire en Haute-Savoie à l’époque, et avait exercé diverses responsabilités en interne ou comme représentant du personnel. De la lecture de l’Huma à ses réunions de cellules, de ses livres et de son suivi de l’actualité (à mon étonnement à l’époque, il m’avait fait part de son profond respect pour Simone Veil, la ministre) il nourrissait sa pensée et son action. Je croisais le fer dialectique avec lui, tant bien que mal.

Les années passant, mon engagement syndical, inséré dans une tendance minoritaire et un peu remuante, m’avait mis plusieurs fois en opposition avec les responsables départementaux.
C’était cependant formateur, j’ai ainsi beaucoup structuré ma pensée sur les questions de démocratie, de rapport majorité/minorité. Dans le monde, c’était aussi des années contestataires, de la musique aux mœurs, et des années où le travail d’Amnesty International changea aussi mon regard sur les questions de droit : pour faire court, pour moi, le critère d’appréciation d’une démocratie est devenue, non pas le lieu d’expression d’une majorité, mais quelles latitudes et capacités elle laisse à ses minorités.

C’était des années où j’avais aussi d’autres engagements et centres d’intérêt autour des questions environnementales.

J’eus un gros clash avec Pierre.

Dans le local syndical, rue Guillaume Fichet à Annecy, alors que j’attendais de voir le secrétaire départemental, il était entré et allé directement discuter avec lui.
J’étais furieux : une accumulation de frustrations certainement, une marginalisation ressentie trop durement alors que j’étais un des plus militants du département (toujours bénévole et à mes frais), et certainement d’autres raisons… , j’avais explosé de colère.
Engueulant Pierre dont je n’étais pas spécialement proche, je l’avais traité – je m’en souviens et l’expression a longtemps hanté ma conscience – de « bonze syndical, qui se croyait tout permis ! »

Pierre Morand était estomaqué. Je suis parti dans le même état de fureur, alors que l’incident était ridiculement minime par rapport à d’autres situations que j’ai pu vivre syndicalement.

Nous en avons reparlé, des mois après.
Il a fait beaucoup d’efforts et j’ai pris conscience de l’in-justesse de ma réaction. Il n’avait pas compris que j’attendais mon tour dans le local. Bref, une incompréhension réciproque qui n’était qu’un symptôme d’autre chose.

Mais, mes excuses une fois posées, ma confiance et mon respect n’ont fait que grandir au fil des années à l’égard de Pierre.
Son engagement était aussi chargé de réflexion, de connaissance historique, de respect des autres.
C’est la laïcité qui lui tenait le plus chevillée au cœur.
J’avais vu son intérêt pour les mouvements pédagogiques (ICEM Freinet, GFEN), sa capacité à soutenir les autres.

Les années et dizaines d’années passant, nous nous retrouvions avec grand plaisir, réciproque je crois.
Il m’avait surpris en 1992, lors de la scission syndicale enseignante, en rejoignant (contrairement à moi) le syndicat UNSA 74, plus proche des socialistes, voire de courants centristes. Il est vrai que la question laïque est restée structurante pour ce syndicat plus que les aspects sociaux.
Mais c’est aussi qu’il avait détesté des pratiques para-staliniennes où il s’était trouvé mis en accusation, sommé plusieurs fois de s’expliquer sur son indépendance d’esprit. Je me rappelle de sa colère contre un dirigeant syndical, m’as-tu vu et méprisant. Pierre m’avait dit que le gars s’était comporté en petit Savonarole. Un des pires qualificatifs que pouvait conférer ce militant laïque !
Militant qui n’était en rien un bonze syndical, n’ayant fait que donner, au delà de son implication professionnelle, son temps et son énergie, son intelligence et sa culture humaniste, sans ‘poste syndical’, pour l’accomplissement de ses convictions.

Pierre Morand reprise

 

Merci Pierre.
Et tu m’as aussi appris qu’on regrette longtemps des mots et des expressions inutilement blessantes.