Le 27 janvier 1945, il y a 70 ans, le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz était libéré par l’Armée rouge. Les soviétiques découvraient ce qui deviendra le symbole terrifiant du nazisme.
Né en 1952, j’ai eu dans les années 60 toute une sensibilisation à cette période historique, à découvrir l’hallucinante industrie nazie du racisme et de la déportation. C’est une donnée fondatrice de ce que je suis.
- Mon prénom est celui de mon parrain, déporté à Dachau, pour faits de résistance (arrêté en 1943 alors qu’il transportait dans son camion bétaillère de la nourriture et des armes pour les maquis entre Savoie et Haute-Savoie). Il avait épousé une de mes tantes paternelles. Solide, ayant fait jeune de la boxe, il revint de Dachau en 1945.
- Mon père, policier à Annecy, membre de l’AS et des NAP, fut interné par la Milice (« les Canadiennes) à « l’intendance » : frappé, emprisonné dans des conditions lamentables, il fut finalement libéré, après des jours de mauvais traitement -fautes de preuves tangibles et d’aveu. Dans un texte tapé après guerre à la machine à écrire, il dénombrait : « Police… là encore se sont manifestés de nombreux dévouements. Hélas, … là comme ailleurs des camarades ont payé de leur liberté, de leur vie. Vingt arrêtés, dix déportés, six morts, uniquement à Annecy. »
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Archives mensuelles : janvier 2015
Dessins à dessein
La représentation des animaux et de l’être humain est une donnée très ancienne de l’humanité. J’ai hâte de pouvoir visiter la réplique de la grotte Chauvet : il y a 30 000 ans, un tel talent pour figurer des lionnes sur un rocher et les représenter en mouvement force l’admiration. La figuration humaine est certes rare à la préhistoire mais elle s’est développée ensuite, de l’Asie à l’Afrique, de l’Europe aux Amériques.
Le dessin, la peinture, la sculpture, sur tous les continents, sont des formes majeures d’expression.
La caricature, ce dessin détourné de la stricte représentation du réel, pour porter un message ou une idée, est une très ancienne tradition, notamment en France.
J’ai travaillé la semaine passée pour donner une animation aux dessins de Honoré Daumier, les poires (1831) : il y caricaturait le physique du roi Louis-Philippe. Qui comme tous les souverains, avait reçu l’onction de l’Eglise et donc un peu du pouvoir divin.
Mes ancêtres n’étaient pas français à cette période historique, pas plus que tous les savoyards-savoisiens. Mais, lors de mon parcours scolaire, au collège, il y avait dans mon manuel la reproduction de ces dessins de l’Histoire de France : je me souviens de mon étonnement que l’on puisse publier, à l’époque, une telle attaque du souverain français.
Et H. Daumier, à l’incroyable talent, avait réalisé auparavant un autre dessin contre le roi, satire beaucoup plus politique et indignée, qui lui valut 6 mois de prison ! Voir ici, le roi en Gargantua, oppresseur de son peuple.
Le monde musulman, dit-on actuellement, ne permet pas la représentation du prophète Mohammad. C’est un point litigieux et des analyses y ont été consacrées dans divers médias :
- par de savants bibliothécaires
- par un journaliste du Monde
- par des spécialistes du Proche Orient, IFPO
En tous cas, les représentations d’humains et d’animaux sont interdites pour les monuments religieux et dans l’architecture mais, dans l’espace séculaire, des représentations ont fleuri dans pratiquement toutes les cultures islamiques. Et même pour y délivrer un message religieux. Voir ce site
Cela fait penser aux calligrammes poétiques, notamment ceux cultivés par Apollinaire.
Le dessin, la calligraphie, c’est la Vie. Hein, Charlie !
Dans ses rapports compliqués à la religion, le fanatisme destructeur s’exprime à plein en ce moment.
La culture française, ces siècles d’affrontement religieux entre catholiques et protestants, tragédies qui ont aussi touché la Savoie, ont conduit à poser la liberté de pensée comme essentielle, avec le respect des lieux dédiés aux différents cultes et le respect de la liberté de l’espace séculaire et démocratique (presse, notamment), au complet.
D’ailleurs, l’humanité et l’intelligence conduisent à ce qu’un texte doive toujours être interprété et confronté à d’autres interprétations.
Deux femmes ont été massacrées lors des assassinats fanatico-islamistes de ce début janvier : l’une, tuée à cause de son uniforme de policière.
L’autre, tuée car elle était dans la rédaction de Charlie, une psychanaliste qui y rédigeait deux fois par mois une chronique.
J’ai découvert le texte prononcé à ses funérailles.
Elsa Cayat était juive et c’est une femme, rabbin, qui s’est exprimée à ce dernier moment, s’appuyant sur une parabole remarquable. Prenez le temps de la lire :
Un proverbe arabe dit :
« Ce qui visible est à nous, ce qui est caché est à Dieu ».
Occupons nous, ensemble et divers, de gérer le monde visible.
France magnifique ! Peuple libre et solidaire !
Nous avons vécu un dimanche de présence incroyable qui a soutenu notre modèle français de liberté, de laïcité, d’impertinence, du vivre-ensemble citoyen.
Des multiples marches républicaines.
Pas de dérapage haineux.
Une expression forte, intense, d’une haute conscience sociale.
A Annemasse, les milliers de personnes ont écouté deux prises de paroles : une lycéenne et un lycéen. La demande de ce dernier de nous tenir les mains, bien haut, de marquer ce tous ensemble a été parfaitement entendue. Une énergie positive très forte se dégageait.
C’est un moment rare de vécu collectif, des émotions profondes avec, chez toutes et tous, une perception alarmée et solennelle des enjeux présents.
Et de ma part, une grande anxiété sur l’avenir : un attentat au Liban, vient de faire 9 morts, 36 blessés. Christina, une élue annemassienne, était profondément en souci sur la situation du Pays du cèdre. J’ai aimé ce pays lors d’un voyage en 1972… ce n’est pas loin dans ma tête car il m’a beaucoup marqué. Ainsi que la courte virée de trois jours faite alors en Syrie. Ce qui se passe là-bas, Syrie, Liban, en Irak aussi et plus largement dans tout ce Moyen-Orient, à l’Histoire incroyable, lieux de richesse pétrolière et de pénurie en eau, va baliser notre avenir pour les dizaines d’années à venir. |
Ce dimanche labellisé « Je suis Charlie » signifie une magnifique réappropriation de son histoire culturelle et politique par le peuple français.
Et ici, la statue de Michel Servet était superbe : le plus beau symbole d’Annemasse, en vérité, a été mis en valeur, illustration de la libre croyance et de la pensée libre.
Le temps des débats, des controverses, des confrontations va se réouvrir : c’est ça aussi une démocratie vivante. Mais dans une culture du sentiment libertaire français infiniment plus partagée et réappropriée.
Des grincheux, des pisse-froids et des précieux-soucieux-soupçonneux qui ne voulaient pas de Netanyahou à Paris et pas de trop d’unanimité (!) avaient indiqué qu’ils ne seraient pas aujourd’hui avec le peuple. La peuple a vibré sans eux.
Et il saura rappeler ces moments à nos puissants, s’appuyer sur ce soulèvement pour soutenir la liberté : de la Palestine à l’Afrique, de l’Europe à l’Asie, contre Erdogan et Ali Bongo.
PS : à la télé, très belle soirée d’hommage à Charlie (concert de soutien) ce dimanche, sur le service public : chansons, satires, dessins, ironie, coup de gueule, ce fut charlien à souhait…
Avec une bonne intervention de Daniel Cohn-Bendit et une belle interprétation, par Christophe Alévêque, de Bella Ciao, reprise en choeur : … « Morto per la libertà. » !
Pour Charlie qui m’a aidé à être plus libre
Wolinski, Cabu, c’est ma sortie d’adolescence, mes débuts adultes, ma recherche d’équilibre politique, mon optimisme en la Vérité, l’Humour, la Joie de Vivre.
L’hebdo Hara-Kiri, c’était décapant en cette fin de décennie des années 60, cela me choquait souvent mais cela agrandissait ma vision du monde, cela élargissait ma liberté.
Et Charlie Hebdo enclencha la poursuite du projet.
Reiser, grinçant dessinateur et créateur incessant de planches dessinées sur l’énergie solaire, est beaucoup associé à cette équipe dans mon enthousiasme de l’époque (Et Fournier qui créa le journal écolo « La Gueule Ouverte »).
Et puis, dans les années qui suivirent, le dessin de presse, de narration, s’est aussi épanoui dans la BD qui devenait dès cette époque, de plus en plus intéressante et qualitative. Essentielle.
C’est tout un fonds culturel, émotif et politique qui m’a en partie construit.
Ce terrible mercredi 7 janvier 2015, j’en ai pleuré, tétanisé par ces assassinats délirants et monstrueux.
Les religions ont suscité des beaux élans dans la générosité et aussi dans l’art et la culture mais elles ont provoqué tant de drames, de guerres, d’assassinats incessants qu’elles savent ou qu’elles devraient savoir que c’est l’humilité qui doit les commander, la modestie qui doit les caractériser, l’effacement pour la construction intérieure qui doit les structurer.
La liberté, la liberté, la liberté, …
Je n’ai plus de mots pour dire ce choc ressenti par le fait que puissent être abattus à l’arme de guerre ces dessinateurs (dont aussi Charb, Tignous et Honoré) qui me réjouissaient, me heurtaient, me déroutaient, mais toujours m’aidaient à Respirer, à Vivre, à Penser, à Sentir, à Apprendre.
Je suis en colère, très en colère, submergé. Quelle froideur fasciste dans cette exécution, également en face à face, d’autres gens qui travaillaient : journalistes, policiers. Les blessés (dont le journaliste Fabrice Nicolino, l’écologiste sans concession) n’ont dû qu’au hasard de n’avoir pas reçu de balles fatales.
Des dessins, il y en a eu beaucoup en hommage à Charlie en moins de 48h, et venus du monde entier. J’en mets quelques-uns qui m’ont touché.