TAFTA, GMT : le poids du local


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Un vœu de défiance vis-à-vis du projet international de traité de «Grand Marché Transatlantique » a été présenté par Christian Dupessey, le maire d’Annemasse, lors du conseil municipal de septembre. Ce vœu a été adopté par l’ensemble de la liste majoritaire.


L’opposition UMP et Front national ont voté contre le vœu, seul un élu UDI s’est abstenu.
Je mets le texte adopté en bas de cet article.

De quoi s’agit-il ?
Des négociations ont été engagées entre l’Union Européenne et les Etats-Unis pour s’accorder sur un marché unifié d’échanges économiques. Nous passerions d’un marché unique européen à un marché unique transatlantique !
Le contenu de ces discussions qui engageraient l’avenir de millions d’européens a été tenu secret malgré les demandes répétées d’ONG et d’élus.
Des fuites ont cependant eu lieu qui n’ont fait que renforcer l’inquiétude de tous ceux qui pensent que la démocratie est un principe des Droits Humains bien supérieur au pouvoir discrétionnaire des multinationales, qui sont les lobbies à l’œuvre dans ce marchandage.
A la fin 2013, le texte de discussion ainsi révélé comprenait 46 articles.

De cette lecture, il ressort que les enjeux du TTIP = PCTI = TAFTA = GMT (4 acronymes en français ou en anglais désignant le même objet) se situent essentiellement autour de trois points :
  1./ un abaissement de droits de douane
  2./ une « harmonisation » des ‘barrières’ non tarifaires
  3./ des juridictions spéciales pour traiter des conflits sur les applications (et non-applications ) de cet accord
Tout cela serait nécessaire et positif pour la ‘croissance du PIB’

En détaillant :
1./ abaissement de droits de douane :
traditionnellement, un accord commercial se concentre sur l’élimination des droits de douane. Ceux-ci sont déjà tellement bas entre l’UE et des États-Unis, que ce n’est pas l’objet principal de ce projet d’accord. Mais cela concerne cependant des produits agricoles et d’alimentation. Notre modèle français -et européen– de paysannerie serait impacté.

2./ harmonisation des ‘barrières’ non tarifaires :
80% des «avancées…» (des régressions ?!) projetées viendrait de la «suppression des barrières non-tarifaires au commerce». Il s’agit des réglementations et des normes, le plus souvent des garanties pour le consommateur durement acquises au fil des expériences, des avancées scientifiques et de l’ancrage dans le « local » (qualités alimentaires, produits des terroirs, etc).
Un impact négatif très fort est à attendre de ce type d’accord avec les USA : leur boisson emblématique c’est… le Cola (Pepsi ou Coca), à la formule chimique identique de l’Ouest à l’Est des USA et de l’Atlantique Nord au Pacifique sud en passant par la Méditerranée et et l’Océan Indien… !box-aoc-b

Tout cela est très loin du reblochon du val de Thônes, du Beaufort des alpages d’Arêches, du vin de Chignin-Bergeron. Mais aussi du Gevrey-Chambertin, le vin de Napoléon.
La communauté de communes de Gevrey-Chambertin, pour la défense du principe des AOC, s’est positionnée par un vœu contre ce projet de traité aux articles désastreux.

Car, de part et d’autre de l’Atlantique, ce n’est pas majoritairement la même vision agricole, alimentaire et culturelle !
De multiples exemples peuvent être données en la matière : ainsi l’agro-industrie américaine travaille à ce que l’Europe lève l’embargo sur le bœuf aux hormones, le poulet à la carcasse chlorée et les OGM. L’industrie américaine de la viande appelle aussi l’UE à lever l’interdiction de la ractopamine dans la viande de porc.
Côté européen, les multinationales de l’eau défendent une privatisation des services de l’eau outre-Atlantique.

Ce n’est donc pas le décolleteur de la Vallée de l’Arve ni le berger-fromager des Aravis qui sont demandeurs d’un tel traité. Pas plus que les PME américaines. Le commerce se fait très bien de part et d’autre de l’Atlantique.
Non, il s’agit de l’intérêt des maxi-entreprises. All for the Big Business.

L’abaissement des normes, c’est la possibilité de fourguer, sans contestation juridique possible, des produits de tous ordres à moindre coût et dans une qualité inférieure voire indésirable.

3./ des juridictions spéciales :
Bien sûr, des contestations peuvent survenir sur l’application des modalités d’un traité. Le droit des USA et le droit européen sont suffisamment pourvus et de textes de lois et de tribunaux compétents.
Eh bien, non, ce serait trop transparent ! Le projet de traité pose le principe de juridictions spéciales, pour traiter des demandes d’investisseurs contre les Etats ou les pouvoirs locaux. Ces tribunaux d’ordre privé se constitueraient en cas de plainte  : la partie A se choisit un juge A, la partie B se choisit un juge B, et les juges A et B se mettent d’accord pour choisir un juge C … !
Et à trois, ils « arbitrent ».
Ce type de juridiction s’est beaucoup exercé dans des pays du tiers Monde, ayant peu d’assises juridiques, de code établi et de jurisprudence afin de trouver, cahin-caha, un processus pour garantir un droit -normal- des investisseurs.
C’est merveilleux ici, ce monde des petits arrangements, dans des pays pourtant solides juridiquement Des arrangements à la Tapie, sans la transparence des institutions démocratiques.

Voilà un scénario «gagnant-gagnant» pour les grands groupes de transnationales ; mais «perdant-perdant» pour les populations de part et d’autre de l’Atlantique.

Les entreprises pourront donc attaquer un Etat ou une collectivité locale lorsqu’ils jugeront qu’une décision publique remet en cause leurs bénéfices présents ou à venir. Et peu importe que cette décision fasse progresser la société sur l’environnement, la protection de la santé ou encore les droits des salarié(e)s et des citoyen(ne)s.

Le nombre de ces plaintes et demandes d’investisseurs contre les États a explosé ces dernières années, de quelques dizaines au début des années 1990, à près de 600 cas sur la seule année 2013. Selon Corporate Europe Observatory, cela a été d’excellentes opportunités pour certains des plus grands cabinets d’avocats d’affaires dans le monde !

Le débat municipal :
L’argumentaire pour ne pas voter ce vœu m’est apparu particulièrement faible de la part de l’UMP ; en résumé : ce n’est pas un objet municipal local et laissons nos élus nationaux s’en emparer. Un refus de vœu sous un faux prétexte, apathique et décevant. Alors qu’est indiqué dans le texte révélé de la négociation que les autorités locales devraient appliquer les dispositions retenues sous peine de ces tribunaux spéciaux, cela fait froid dans le dos.

Dans d’autres collectivités, des élus UMP et UDI ont voté des vœux comparables, refusant ce dessaisissement démocratique. Car ce processus serait amené à impacter directement nos autonomies municipales. Par exemple, nos cahiers des charges à Annemasse privilégient autant que possible les circuits économiques de proximité :
- pour la chaufferie bois, les produits sont à trouver dans un rayon de 80 kilomètres
- pour les produits de la restauration, des clauses demandent de trouver certains produits essentiellement dans les départements de Rhône-Alpes : il n’est possible de conforter des agriculteurs bio et des filières de distribution que par la stabilisation des commandes auxquelles contribuent les restaurations collectives comme Annemasse.
Il est bien d’autres exemples où l’on pourrait, contre les choix communaux pourtant respectueux de la concurrence mais visant une valeur environnementale et écologique, imposer des processus indifférenciés en qualité et en provenance, le seul critère n’étant que le prix.
Du bois pas cher du Canada et du poulet méga-industriel pour les repas des enfants, que voilà un beau projet citoyen ! Les efforts visant à soutenir les entreprises de proximité sont pourtant essentiels pour la création d’économies locales solides et dynamiques.

En France, nombre de régions et de communes (pas que Gevrey-Chambertin !) se sont positionnées par rapport à ce projet de traité de Grand marché, projet dangereux économiquement pour nos atouts fondamentaux, contraire à la culture européenne et aux filières de qualité et de proximité.
Le faucigny du 25 sept


Mon intervention

La Presse a rendu compte de nos échanges lors de l’assemblée communale ce jeudi 18 septembre. Cette publicité contribue aussi à faire progresser la connaissance de ce projet à toute la population. Mes interventions ont été mentionnées.

Parfois les compte-rendus journalistiques manquent de précision. Dans le Faucigny, de manière plus éclairée, Carole Varvier y a consacré une page complète.
Elle cite même le Monde Diplomatique, sans que je ne l’ai mentionné moi-même, journal qui a effectivement produit un excellent dossier sur le GMT. La journaliste se nourrit donc de sources diversifiées et pertinentes.
Mais Carole** traite ironiquement la démarche municipale et feint de trouver mégalomanes les explications du maire qui, dit-elle, « voudrait sauver le monde … »
Toutes les structures politiques, qui ont réalisé que la démocratie locale serait impactée par la signature de telles clauses de traité, ne font que leur devoir en se positionnant sur ce dossier. Ce n’est pas de la mégalomanie. Le ton sarcastique est certes une marque de fabrique du Faucigny. Il n’a cependant de sens, même incisif ou blessant, que s’il vise juste. Et précisément parce qu’il vise souvent juste.
Là, c’est un vrai manque de pertinence pour une lectrice du Diplo… Une journaliste étonnante lorsqu’elle écrit des papiers sur des sujets artistiques. Et bien renseignée sur les sujets politiques locaux ou nationaux. Et qui sait justement que l’action à l’échelon démocratique communal doit avoir un sens et un souffle.

J’avais cité Jean Arthuis qui, dès le mois d’avril dans une excellente tribune, indiquait dans le Figaro 7 bonnes raisons de s’opposer au projet de traité.

J’ai voté ce vœu avec conviction. Que nous soyons -pour l’instant- la seule commune de Haute-Savoie à avoir émis un vœu en ce sens (en direction des parlementaires nationaux et bien sûr, via le préfet, c’est un signal en direction du gouvernement) montre qu’à Annemasse, les élu(e)s n’oublient pas d’être à l’écoute des questions qui traversent la société.
Télécharger encadré Faucigny


                  Télécharger l’encadré du Faucigny :


**Je dis « Carole », même si nous n’avons pas gardé les moutons ensemble. Au Larzac en 1974, elle devait être trop jeune quand j’allais y soutenir les éleveurs, défenseurs du plateau. Cependant, l’enjouement de son article la conduit à me citer juste avec mon prénom. Elle ne se vexera certainement pas que j’en use de même…

Plus :
Tribune TTIP
Ça, c’est fait !
Le texte vient d’être officiellement rendu public.

Des ONG avaient lancé un appel à manifester contre ce projet de traité TAFTA mais aussi contre d’autres projets plus ou moins avancés (CETA, entre Canada et Union Européenne) et TISA (sur les services, entre 50 pays, dont la Suisse, et bien sûr l’UE, les USA, etc)
400 manifestations étaient organisées ce samedi 11 octobre dans le monde, dont une à Genève.
Comme scandé dans les rue de Genève :
« Tafta, Ceta, Tisa,
et cetera,
le peuple n’en veut pas ! »

Cette demande de démocratie, forte, argumentée et répétée par la société civile, par de nombreuses autorités politiques (régions, communes) ainsi que par des manifestations publiques montrent un écho populaire grandissant sur un sujet non corporatiste.
C’est contrainte et in extremis que l’UE vient de publier le texte des tractations.
Conformément à ce que j’avais indiqué à propos du positionnement en ce sens du commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, et de la présidence italienne de l’UE (présidence tournante, transalpine depuis le 1er juillet).

Sans titre 5Voilà qui conforte la démarche de tous ceux qui pensent que la démocratie est un combat.

A l’encontre des lobbies tireurs de ficelles qui se maintenaient dans une obscurité manipulatrice.
Symboliquement, les affiches des appels à manifester étaient d’ailleurs placées sous ce signe de la mise en lumière.

poulet arrosé au chlore vu par manif en Allemagne 11-10-014

Poulet arrosé au chlore, vu par une manif en Allemagne- samedi 11 octobre

Télécharger le vœu de la commune (pdf)