Eva Joly demande une «opération mains propres à la française»

Je recopie ici, car elle me parle profondément, l’intervention d’Eva Joly devant le conseil fédéral d’Europe Écologie Les Verts,  samedi 23 mars :

« Nous venons de vivre une semaine noire pour la démocratie.
- En trois jours, Jérôme Cahuzac a été forcé à la démission après qu’on eut appris que l’enregistrement révélé par Mediapart concernant la possession d’un compte en Suisse était bien celui de sa voix ;
- l’appartement parisien de la présidente du FMI était perquisitionné dans le cadre de l’enquête sur les arbitrages Tapie ;
- et Nicolas Sarkozy était mis en examen, notamment pour abus de faiblesses dans le cadre de l’affaire Bettencourt.
Qui peut croire que cette cascade d’affaires déversant leur trop-plein de boue sur notre vie politique restera sans conséquences ?

La crise politique ne se présente pas comme une explosion subite, mais comme le long pourrissement en continu de nos mœurs démocratiques. Seuls ceux qui y ont intérêt pour conserver une rente de position, font semblant de considérer que les choses peuvent continuer comme avant. En réalité la marche à la crise n’est plus une marche, mais une course à l’abîme.

Le chantier de la république exemplaire n’a pas été engagé avec assez de vigueur par François Hollande, et nous voilà rattrapés par la question de la collusion entre les milieux d’affaires et la classe politique engoncée jusqu’au cou dans l’eau saumâtre des affaires.

Comme dans le même temps on demande au peuple de se serrer la ceinture, et que ce sont les mêmes qui font assaut d’orthodoxie budgétaire et se retrouvent pris la main dans le pot de confiture, comment s’étonner que les Françaises et les Français n’accordent plus aucune confiance, ni aucun crédit à la parole des politiques ?

Le moment est venu de hausser le ton contre un système qui broie la confiance et détruit le lien démocratique. Pour résumer les choses, ce sera eux ou nous. Les cyniques ou les sincères. Les partisans de l’impunité ou les promoteurs de l’exemplarité de nos dirigeants. Les ventres repus de l’abus de pouvoir ou les crève-la-faim de la démocratie.

Eux ou nous, vous dis-je. Une bataille à mort s’est engagée que nous n’avons pas le droit de perdre entre l’idée républicaine et la confiscation de la démocratie par ceux qui en détournent les règles à l’usage de leur profit exclusif.

Si nous refusons le combat frontal, si nous tergiversons, si nous faiblissons, alors le pire est à prévoir. Qu’on regarde déjà avec quelle arrogance incroyable les archers de l’UMP font feu de tout bois pour décrédibiliser à l’avance le travail des juges. Ils mentent avec hargne et mordent avec férocité. Dans leur collimateur, derrière les juges, c’est l’État de droit qui est visé, l’idée selon laquelle on pourrait traiter tous les justiciables de la même manière, la lutte contre l’impunité qu’on veut abattre.

Alors je veux vous convaincre que nous devons hausser le ton et ne pas nous laisser enfumer par les pseudo-arguments sur la présomption d’innocence. Lorsqu’ils se drapent dans la présomption d’innocence, ils la souillent, la maculent de la tache indélébile du mensonge.

J’appelle nos amis socialistes puisque nous gouvernons ensemble à ne pas, par leurs silences gênés, laisser supposer qu’ils auraient la moindre pusillanimité dans la conduite du combat contre la gangrène des affaires. Les affaires, même lorsqu’elles touchent un des nôtres, surtout quand elles touchent un des nôtres, doivent être combattues sans relâche.

Pendant la campagne présidentielle, je n’ai pas été entendue. Mais cette fois-ci je ne demande aucun suffrage, juste un sursaut, une révolte, une insurrection contre la fatalité des affaires.

J’en appelle aux grandes consciences du pays, aux intellectuels, aux artistes, aux gens de toute profession, comme à ceux qui n’ont pas d’emploi, aux simples citoyens, à tous ceux qui ont foi dans la République. Je les engage à soutenir notre combat : c’est le leur. Tous ensemble nous devons dire ça suffit. Notre ennemi n’a pas de visage, il en a mille. Il n’a pas de parti, il les menace tous. Il n’a même pas de programme,  juste des intérêts : cet ennemi, c’est la corruption, les affaires, l’impunité.

Chers amis, notre combat ne fait que commencer : mais que tout le monde se le tienne pour dit, que chacun soit prévenu, cette fois nous ne céderons pas.

J’en appelle donc solennellement au Président de la République. Je demande un plan d’urgence contre les affaires, une opération mains propres à la française. Nous devons de toute urgence renforcer les règles éthiques qui régissent notre vie publique, renforcer les moyens consacrés à la traque de l’évasion fiscale et de la corruption, protéger de manière accrue l’indépendance de la presse et de la justice.

Monsieur le Président de la République, faites face à vos responsabilités. Vous avez le pouvoir d’agir, et en conséquence le devoir de sauver une certaine idée de la République.»